Il est assis au piano, la tête relevée mais le regard perdu dans le vide. Elle l’observe. Elle ne peut s'empêcher de suivre des yeux ses doigts qui bougent avec lenteur sur le clavier. Chacune de ses notes la chamboule, lui fout la chair de poule.
A la fin de son premier morceau, seuls quelques applaudissements se font entendre dans la salle. Le manque d'enthousiasme du public ne semble pourtant pas le gêner. Elle, elle est debout. Seule. Comme d’habitude. Le regard du pianiste balaie la salle et passe sur elle sans même la voir. Elle se rassied alors la tête baissée. Il entame son second morceau. Le cœur de la groupie manque un battement. C’est son morceau préféré, celui qu’il garde habituellement pour la fin. Les yeux de la jeune femme remontent alors vers le visage du virtuose mais son regard toujours perdu dans le vague ne cherche pas le sien. Elle donnerait tout pour un geste de sa part. Elle en rêve même la nuit. Toutes les nuits. Elle se concentre alors à nouveau sur ses doigts. Les applaudissements retentissent plus nombreux cette fois-ci et la groupie se lève. Seule. Comme d’habitude. Il ne quitte plus son clavier des yeux en enchaînant les morceaux suivants. Et elle reste là, comme ça, toute la soirée, à regarder ses mains en savourant son verre de vin rouge. Elle est la seule cliente de ce restaurant huppé à n'être venue que pour lui. Les couples défilent, certains s'en vont, d'autres arrivent, ils prêtent à peine attention à la douce musique du pianiste. Personne ne comprend vraiment ce qu’il joue, en réalité. Personne. A part elle. Et lui. L'heure de la fermeture finit par approcher et le serveur prévient le jeune virtuose qu’il a droit à un dernier morceau. Recommence alors la berceuse de la groupie. Elle lève à nouveau la tête vers son visage. Il ne joue jamais deux fois le même titre. Impossible. Et pourtant. Son regard doit lui brûler le visage tant elle le fixe intensément. Mais pas une fois ses yeux ne croisent les siens. Vaincue, elle l’observe rejoindre sa loge, une pièce près des cuisines que lui a attribuée le patron plus tôt dans la soirée. Toutes les tables sont à présent inoccupées. Elle s'empresse de rejoindre le piano et de s'y asseoir. Ses doigts, comme guidés par une autre volonté, caressent les touches de l'instrument sans jamais les presser et, les yeux fermés, elle rejoue dans sa tête la berceuse qu’elle s’est attribuée. Ce morceau qui l'obsède tant. Ce morceau qu’il lui a fait l'honneur de jouer deux fois ce soir. Une porte claque. La groupie rouvre enfin les yeux. Navré, le serveur la regarde. Son cher pianiste a emprunté la sortie de secours. Il lui reste tout juste assez d'argent pour prendre un taxi. Elle n’a plus la force de conduire, elle est abattue. Il l’a repoussée. Encore. Et elle est seule. Encore. Elle n’a plus rien. Toujours. Lorsqu'un chauffeur finit par s’arrêter à sa hauteur, elle s’empresse de s'engouffrer dans l'habitacle. Son hôtel miteux l’attend. Comme s'il savait qu’elle avait besoin de distraction, le taximan lui demande son aide sur l'itinéraire. Lorsque celui-ci se gare devant la grille entourée de poubelles de l'immeuble, son regard plein de compassion se pose sur elle. Elle a l’habitude. C’est la vie qu’elle a choisi de mener. Elle lui tend simplement son dernier billet avant de sortir de la voiture, le priant de garder la monnaie sans toutefois lui laisser l’occasion de répondre. Ses talons hauts claquent durement sur le sol en béton. Ils claquent durement dans les escaliers menant à sa chambre du deuxième étage aussi. Elle en veut à son pianiste. Et elle le veut. Là, la groupie retire un à un chacun de ses vêtements jusqu’à être entièrement déshabillée. Elle se glisse ensuite dans son lit et serre durement les draps usés contre son corps nu. Ils sont frais et sentent le propre, cette odeur de coton caractéristique. Elle la déteste cette putain d’odeur qui la poursuit. Cette putain d’odeur qu’elle retrouve à chacune de ses destinations, dans chacun de ses hôtels miteux. Cette putain d’odeur qui lui rappelle qu’elle n’est chez elle nulle part. Cette putain d’odeur qui lui rappelle qu’une fois encore elle est seule dans ce grand lit. Elle regrette l'odeur musquée de son pianiste. Cette délicieuse odeur qu’il avait laissée dans les draps roses d'une de ses chambres d’hôtel miteuses. Elle avait eu envie de les emporter tant ça lui avait semblé du gâchis. L’esprit embrumé, elle revoit son virtuose jouer sa berceuse de ses doigts experts. Elle revoit son corps recouvrir le sien avec fermeté. Elle le revoit nu, sortant de son lit, une cigarette pendue aux lèvres. Elle le revoit enfiler ses vêtements et partir sans se retourner. De petites gouttes salées dévalent sur ses joues et elle les frotte durement avec sa couverture de fortune. Dieu que sa vie est triste, amoureuse d’un égoïste. Le sommeil finit par l'emporter. Elle rêve d'un piano, d'une plage puis d'un pianiste et sa douce musique. Elle rêve de perles d'eau salée s’écoulant le long de son dos. Elle rêve de baisers, suivant le même chemin…
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Ginie, 22 ansAussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours écrit. Je suis passée petit à petit de contes enfantins à des histoires plus abouties mais impossible d'écrire autre chose que des nouvelles... Je ne suis pas très constante ! Du coup, j'écris souvent mes états d'esprit sous forme de petits textes un peu poétiques. Categories |